bruno schulz - sabine vess: images of an encounter

L'art d'enfer

Ou l'art d'en faire, de l'art. Cela peut en être tout un. Ici, une artiste nous «convie» à venir voir des masques-visages, et des corps réceptacles de la torture.


A vouloir à tout prix chercher des tortures personalisés ou culturellement désignables derrière le travail pictural de Sabine Vess, on se tromperait, en ne faisant alors qu'une demie lecture de ses oeuvres. Et on raterait précisément son travail créatif, qui implique ce que je dirais être la «mise en art» de certrains événements du monde. Car l'artiste, ici, n'est pas à mon sens une idéologue-témoin qui se serait chargée de mettre en valeur, en état de représentation expressive, les souffrances particulières des juifs, sous la Gestapo. Sabine Vess, en tant qu'artiste, n'est pas reporter photographe en couleurs des résultats obtenus dans les camps de la mort (il y a bien longtemps déjà).

La morale
Mais ainsi se pose immédiatement, et de façon cruc, la «question» de la morale de l'art. Et je soutiens que cette morale n'a rien à voir avec le moralisme de bon ton. Car la créativité artistique intense ne surgit pas d'un «code» de bonne education civique, lequel reste toujours quelque part autoritaire, et ailleurs laxiste. S'il y a des artistes à saluer plus que d'autres, ce sont précisément ceux qui ne tombent pas dans cette imagerie leurrante que reproduisent différemment, à chaque étape de l'histoire, toutes les «sociétés». Je salue donc ici Sabine Vess. Le travail de l'art est un travail sérieux, et qui n'a pas à badiner dans les bons sentiments quand il s'adresse à la torture. Le travail créatif artistique est un travail du «faire»: on y met la main. Il serait d'une inconscience patente, ou d'une indécence sans nom, de porter la main sur la souffrance des autre pour en tirer des plaisirs esthétique. Si Picasso s'était amusé à faire de l'art avec les horreurs de Guernica, il n'eut été qu'un sinistre voyou. C'est tout. Car telle est est la haute morale de l'art: elle dit ce que'elle dit, sans autres voeux piaux alentour, qui soulageraient quelque peu la bonne conscience. Et aussi, mais c'est plus difficile à comprendre, sans jouer non plus l'illusoire, dans le visible. Cézanne, Van Gogh, Gaughin, Malevitch ou Monet, de même que leurs devanciers depuis la préhistoire, n'ont jamais agi autrement. Les vrais artistes d'aujourdhui, pas davantage.

L'histoire
Je ne sais si l'histoire arrivera un jour ou non à égorger les arts, et, partant, les attistes; je ne suis pas prophète. Pour l'instant, je constate qu'il est toujours là, malgré le parasitisme agressif (inconscient ou calculé) qui l'enserre. L'art, jusqu'ici, a résisté aux empires, aux religions, aux philosophies comme aux technicités purement utilitaires (ou strictement 'enjoliveuses' de décors). Pour l'insrant, il résiste aux Etats et, bien sûr, - mais assez mal - au fameux Marché des «objets d'art». Le monde va...
Ceci au point que pour le 'public', l'action créative artistique est devenue 'élitiste', de 'laboratoire', ou 'd'avant-garde'. Bref, incompréhensible. Et que mille et un sous-fifres peinturlureurs, bricoleurs de terre cuite, ou de pierre, ou de métaux, poussent encore dans ce sens à la charette: il n'y a pas trop de quoi se gêner, faut-il dire, chacun est libre.

La vérité
Qui prendra ici la parole, sans avoir l'air de tout savoir, et d'en vouloir 'remontrer' aux autres? Mais la créativité, elle au moins, n'est pas moraliste en ce sens.
J'en reviens à Sabine Vess, contre le «racisme ordinaire», et contre toutes tortures. Lignes, formes, rythmes, couleurs, structures. Et aussi: émotion, fantasmes. Les moyens d'un métier donc. Et de la subjectivité. Mais encore: comment, et pourquoi, devient-on artiste? Je n'en sais rien.
Sagirait-il dun mérite particulier de cette artiste par rapport à celui d'un quelconque bon peintre de moutons? Je ne le pense pas. Mais les hasards dune existence; l'évolution d'une famille, la sienne: son histoire propre, méconnue d'elle-même. Tout cela, et aussi un «moment» de l'histoire, ont «placé» une certaine Sabine Vess en situation de lire un écrivain polonais qui parlait vrai d'un certain quartier juif, d'un univers ancien de la torture, et de blagues en yiddish (Schulz écrivit en polonais; s.vess). Il s'appalle Bruno Schulz, l'écrivain. Et l'autre, la dite 'artiste', venait «d'une famille de comédiens ambulants qui, pendant des décennies sillonèrent les Balkans et I'Europe centrale, apportant aux hommes spectacles et chants...» II y a toujours eu du droit de l'homme dans la comédie et l'artistrique, c'est pour cela qu'on enterra longtemps leurs adeptes dans la fosse commune. Avant, peut-être, de les enterrer définitivement dans la Sécurité. Il faut bien mettre ainsi de l'ordre dans le visible.

Rouve Hauser
Bruxelles, avril 1985

bruno schulz - sabine vess: images of an encounter